«Purification» d’une artiste internationale, à Dakar
Dans notre édition du 5 octobre 2015, sur ces mêmes colonnes, nous avons présenté la photographe Héla Ammar qui avait été sélectionnée pour participer aux Rencontres de Bamako. La voilà de re- tour ici puisqu’elle a été sélectionnée avec quatre autres artistes, dont Mouna Jemal Siala (voir Tu- nis-Hebdo de la semaine dernière dans cette même page), pour la Biennale de l’art africain contemporain de Dakar (Sénégal). Redécouverte d’une artiste internationale…
Ce n’est pas la première fois que la photographe Héla Ammar participe à la Biennale de l’art africain contemporain (ou Dak’Art). Mais c’est la première fois qu’elle est sélectionnée dans la compétition officielle. En effet, du 9 mai au 8 juin 2014, une exposition en off, intitulée «Monochrome» ou encore «Regard sur la Création contemporaine en Tunisie», avait réuni, dans les locaux de CCBM Automobile, à Dakar, les œuvres d’une trentaine d’artistes (entre identité visuelle, photographies, vidéos et courts métrages) dont Héla Ammar. Cette dernière nous a déclaré : «J’ai déjà par-ticipé à l’off de la Biennale de Dakar dans le cadre d’un projet présenté par la Maison de l’image (Monochrome). Cette fois-ci, j’ai la chance de figurer parmi les artistes sélectionnés à l’exposition internationale. J’en suis évidemment très heureuse !».
«J’ai déjà participé à l’off de la Biennale de Dakar dans le cadre d’un projet présenté par la Maison de l’image (Monochrome). Cette fois-ci, j’ai la chance de figurer parmi les artistes sélectionnés à l’exposition internationale. J’en suis évidemment très heureuse !».
Une visibilité à l’échelle internationale La photographe aurait pu déjà y participer en 2012 puisque qu’elle y avait postulé. Une candidature qui n’a, semble-t-il, pas convenu à la commissaire d’exposition de l’époque, à savoir l’Algérienne Nadira Laggoune, pour ne pas la nommer comme le veut l’expression. Héla Ammar ne l’a pas mal pris puisqu’elle nous a dit : «Ce sont les règles du jeu : il s’agit d’un appel à projet et les chances d’être sélectionné ou pas dépendent de l’adéquation des œuvres proposées aux critères établis par le jury». Quand nous lui avons demandé ce qu’elle attendait de la biennale de l’art africain contemporain, l’artiste visuelle nous a répondu : «Le Dak’art comme les autres biennales de cette envergure offre d’abord de la visibilité à l’échelle internationale. Mais au-delà, c’est pour moi une opportunité de rencontrer et d’échanger avec d’autres artistes, commissaires internationaux, critiques d’art et autres opérateurs culturels».
De mémoire… Prolifique, Hela Ammar a proposé cinq projets à la sélection : «J’ai présenté cinq projets. Ma vidéo ‘Saadya’ offre une lecture symbolique de la lutte des peuples pour la Dignité, la Liberté, le Travail et la Justice. Elle en exprime la répétition mais aussi le renouvellement de l’engagement au fil du temps. Plus spécifique à l’histoire politique de la Tunisie, ‘Tarz ; tisser le temps’ porte sur une mémoire nationale remise en question par les évènements qui ont secoué la Tunisie. J’y ai mélangé des images d’archives à des images contemporaines et les ai reliées visuellement par une broderie en fil de soie rouge. ‘Tirailleurs’ appelle un devoir de mémoire à l’égard de ces milliers d’Africains qui se sont battus pour une République qu’ils pensaient être la leur. Ils sont porteurs d’une double blessure, celle de l’Afrique et celle de la France, ancienne puissance coloniale. ‘Hidden portraits’ s’insère également dans cette dialectique entre passé et présent. Ici, je me réapproprie les codes orientalistes en vue d’en offrir une nouvelle lecture. Notre image a été façonnée de l’extérieur par les fantasmes et les projections de l’Occident et de l’intérieur par nos us et coutumes. Elle se donne ainsi à voir par strates. Celles-ci nous ont été parfois imposées, elles ont quelque fois été intégrées ; elles continuent souvent aujourd’hui à s’inscrire dans notre propre corps».
«(…) Notre image a été façonnée de l’extérieur par les fantasmes et les projections de l’Occident et de l’intérieur par nos us et coutumes. Elle se donne ainsi à voir par strates (…)»
… et de sang !C’est finalement son projet intitulé «Purification» qui a été sélectionné pour l’exposition internationale et la course aux prix. L’artiste visuelle nous a déclaré qu’«il s’agissait d’une série de six photographies». Et de nous expliquer : «Nos identités façonnées au fil du temps et au gré des circonstances illustrent en même temps notre singularité et notre richesse. Pourtant, certaines ne cessent aujourd’hui de s’affirmer et de s’affronter au prix du sang. Dans cette série, je revisite le rituel d’expiation en portant la symbolique du sang à ses limites. Une manière de dénon-
cer les purifications ethniques et religieuses et de rappeler que c’est en affirmant notre humanité que nous pourrons ‘réen-chanter le monde’».
Alors le Dak’Art sera-t-il du même ordre que les Rencontres de Bamako, auxquelles l’artiste a participé en novembre dernier? «Je garde un excellent souvenir des Rencontres de Bamako, tant au niveau de l’accueil et de l’organisation qu’au niveau des rencontres et des contacts établis sur place. Tel que conçu et présenté par Simon Njami
(NDLR : directeur artistique de cette 12e édition de la Biennale de l’art africain contemporain)
dans ses dernières interviews, le Dak’Art constituera sûrement par sa qualité et la diversité des choix artistiques qu’il offre un rendez-vous incontournable pour la scène internationale».
Zouhour HARBAOUI